Chaque semaine, une personnalité du football des talus vaudois nous livre sa vision sur une thématique de son choix. Pour débuter ce nouveau concept, Marcos Carballo, ex-entraîneur de Dardania Lausanne, passé également par Pully, Concordia Lausanne, Crissier et ancien entraineur des jeunes au Lausanne Sport et Vevey, a choisi d’évoquer toutes les difficultés à intégrer les juniors au sein d’une équipe première. Tour d’horizon avec l’entraîneur hispano-suisse.
Chaque club en rêve : bâtir un vivier de jeunes talents capables de gravir les échelons du club. Cependant, la réalité est bien différente. Intégrer les juniors au sein des équipes premières devient un défi croissant, surtout pour les formations de 2ème ligue ou 2ème ligue interrégionale.. Marcos Carballo nous délivre sa vision de coach dans cette transition difficile entre le monde junior et le monde des actifs pour les jeunes.
L’adaptation dans le monde des adultes
Ses années de coaching lui ont permis de voir l’écart de niveau entre les juniors et les actifs de l’élite régionale ou au niveau interrégional. Selon lui, le niveau entre les juniors disputant les championnats régionaux ou la Youth League et le monde adulte est trop grand. « L’idéal dans un club pour intégrer ces jeunes dans une première équipe c’est le passage intermédiaire dans une 2ème équipe bien construite », a-t-il déclaré. « Je pense pour un club qui a une équipe en haut de tableau de 2ème ligue ou 2ème ligue inter, le junior qui sort des B 1er degré ou des juniors B inter n’a pas forcément le bagage pour se retrouver dans une équipe première. Ils doivent s’aguerrir en 3ème ligue ou 4ème ligue. Même si ce sont des ligues plus basses, ils vont jouer des adultes, ils vont apprendre les contacts réels, le vice et cela va les préparer à des ligues de plus haut niveau. Les jeunes ont les qualités physiques, mais ils n’ont pas le duel, le vice, l’expérience. Cela s’apprend dans ces ligues comme la 3ème ligue. Ils ont besoin d’un temps d’adaptation ».

Marcos Carballo a pu constater l’évolution de passablement de mouvements juniors à travers ses diverses expériences d’entraîneur. @juanjo_creation
Cependant, les entraineurs sont confrontés à des problèmes d’égo qui freinent leur progression. «Expérience faite, le niveau d’égo chez les jeunes est assez important. Ils se disent : je joue avec les inter, je suis le héros de mon équipe, je ne vois pas pourquoi je ne suis pas en première équipe et titulaire», a-t-il déploré. « Ils se sentent vexés de ne pas être avec la première et pensent qu’ils devraient y évoluer. C’est un des gros problèmes des jeunes. Les jeunes et leurs parents croient le chemin vers la première équipe tout tracé. À mon avis c’est illusoire, il faut être patient ».
Pour illustrer ses propos, l’ancien coach de Dardania Lausanne prend toujours en exemple l’équipe phare : le Lausanne-Sport. « Les M21 ont longtemps évolué en 2ème ligue inter ou, au mieux, en milieu de tableau de 1ère ligue avec à disposition tous les meilleurs jeunes du canton », a-t-il rappelé. « Et avec ces même jeunes, pendant longtemps, ils n’ont pas évolué plus haut que la 2ème ligue inter ».

Avant de connaître la joie de la montée en Promotion League le printemps passé, les M-21 du LS se sont longtemps heurtés à un plafond de verre. @juanjo_creation
Difficulté d’intégration
Si parfois, intégrer des juniors semble facile en raison de manques au niveau quantitatif dans l’effectif, cela reste souvent difficile de le faire dans une équipe complète et qui a des ambitions en championnat. « Pour donner une opportunité, il faut réunir plusieurs conditions », a-t-il tempéré. « La situation de l’équipe doit être confortable, c’est-à-dire qu’elle ne joue pas les premières places ou la relégation, que le groupe soit sain et que le joueur en vaille la peine. Dans ce cas, ça vaut le coup d’investir sur lui avec quelques entrées en jeu et l’adapter à l’équipe. Toutefois, c’est le talent du groupe junior qui détermine le nombre de joueurs à intégrer ».
L’effet de groupe a également un rôle important dans l’intégration des jeunes en équipe première. « Quand ils arrivent en groupe, ils s’intègrent mieux, car c’est un effort commun de s’intégrer », a-t-il précisé. « Un junior seul a plus de mal à s’ouvrir à une équipe composée d’adultes. Un jeune de dix-sept ans n’a pas les mêmes discussions et soucis qu’un adulte de 28-32 ans ». Les composantes amicales rentrent également parfois en jeu dans la stratégie d’intégration des juniors. « C’est une composante à laquelle je n’ai pas été forcément confronté », a-t-il admis. Mais c’est une vraie réalité pour éviter la fuite des bons joueurs pour certains clubs ».

Le choc des générations est un facteur qui complique l’intégration des jeunes, selon le coach hispano-suisse. @yann_picture
La question de la fidélité des jeunes talents pèse aussi dans la réflexion des entraîneurs, particulièrement sur la pertinence d’intégrer des jeunes. « C’est toujours un pari qu’un club fait de lancer un jeune «, a-t-il rappelé. « Il lui donne sa chance, il se construit et dès qu’il devient performant il va ailleurs. A tout moment un joueur part. Il marque plein de buts, à la fin de la saison on est content on a lancé un jeune. La saison d’après il part, et pas forcément dans un club d’un niveau supérieur, mais dans celui d’à côté. On doit toujours avoir cela en tête, car parfois on investit beaucoup et à l’arrivée ce n’est pas pour notre club, c’est pour celui du voisin. Il faut avoir cette vision-là ».
Les joueurs d’expérience sont également un appui important pour aider un entraineur à intégrer les jeunes. Encore faut-il que les cadres possèdent un véritable attachement au club. « On peut prendre l’exemple d’Adrian Alvarez à Bavois, Le Neün à Saint-Prex, des joueurs expérimentés qui restent x années dans le club et en font à 100 % partie comme s’ils y évoluaient depuis les juniors », a-t-il pointé. « Ce sont des joueurs parfaits à avoir dans un vestiaire pour intégrer au mieux les jeunes ».
Les juniors A, est-ce vraiment utile ?
Avec la réforme de l’ACVF, les jeunes joueurs peuvent désormais évoluer en junior B jusqu’à l’âge de dix-huit – dix-neuf ans (seize – dix-sept ans auparavant) et jusqu’à vingt à vingt-et-un ans en junior A (dix-neuf à vingt ans auparavant). Une réforme qui, selon Marcos Carballo, complique davantage encore l’intégration des jeunes chez les actifs. « Un jeune joueur de dix-sept ans, avec ce qu’on fait en préparation physique, et les exigences données dans le canton, doit se frotter au monde des adultes », a-t-il déclaré. « Le fait de les laisser uniquement entre les juniors régionaux, être dans une équipe de junior A, ne va rien apprendre au niveau du vice, des contacts, de la tactique. Dès qu’ils ont un corps qui peut supporter les charges, ils doivent se retrouver dans une équipe composée d’adultes de 3ème ou 4ème ligue. C’est un pas intermédiaire avant d’aller en 2ème ligue ou plus haut. Il faut respecter la 3ème ligue, ça court passablement, ça reste un joli niveau ».

La question de l’utilité de conserver la catégorie des juniors A se pose toujours autant, et ce depuis des années. @mg_focus_photography
Les projets axés sur les jeunes
Certains clubs, comme les réserves du Stade Lausanne Ouchy ou du Stade Nyonnais ont misé sur des effectifs très jeunes pour la campagne 2025-2026. Une stratégie risquée à court terme, mais qui peut se révéler gagnante à long terme. « On se rend compte que deux clubs qui ont de supers juniors A, B, C, qui ont de très bons mouvements juniors, mais inférieurs à celui du LS, le haut de la pyramide fait tout juste une 2ème ligue. Dans un club qui mise à 100 % sur les jeunes c’est très difficile à se maintenir. Si l’équipe y parvient et que les jeunes restent ensemble, ces derniers se développent avec un bon encadrement. Deux ans plus tard, ce sont des équipes qui montent. Ce sont des projets parfaits pour des deuxièmes équipes. Le mieux reste quand même un projet avec passablement de jeunes, entourés de suffisamment de joueurs d’expérience dans des postes clés comme celui de défenseur central, milieu axial et peut-être avant-centre ».
Carballo souligne que ce type de projet reste rare en 2ème ligue. « En règle générale, on ne voit pas ça plus haut que la 3ème ligue », a-t-il assuré. « Pour la 2ème ligue, il faut un mouvement junior incroyable comme celui du Stade Lausanne Ouchy ou du Stade Nyonnais. Je leur souhaite de se sauver parce que ce sont de jolis projets avec de super jeunes ».
Photo de couverture : yann_picture